L'apprentissage existe depuis le moyen-age, où les corporations de métiers réglaient et administraient apprentis, compagnons et maîtres.
Ces corporations, ancêtres de nos fédérations professionnelles, jugées subversives, seront dissoutes à la révolution. La forme institutionnelle de l'apprentissage ne réapparaît qu'à la sortie de la Première Guerre mondiale, elle concerne essentiellement des formations manuelles et techniques liées à l’artisanat et à l’industrie.
L'image d'une formation de « faible qualification » s'imprime dans les esprits.
Dès lors, le mot fait peur aux élites, elles transmettront avec lui le préjugé de leur classe, celui d’un enseignement indigne, affecté aux enfants du peuple destinés aux tâches subalternes.
Le mot tabou
Héritiers engagés de Jules Ferry, très tôt les professeurs d’école ont lutté contre le déterminisme social qui conduisait immanquablement les enfants d’ouvriers à l’usine. Avec talent ils ont donné le goût d’apprendre à des élèves souvent peu motivés. Mais dans l'esprit du temps et en usant souvent d'une recette efficace, la peur; et la menace la plus commune à l’intention de ceux qui ne travaillaient pas : « tu veux finir en apprentissage ? Non ? Alors apprends ta leçon !».
La « voie de garage » est tracée. En associant régulièrement apprentissage et humiliation, l’école a ainsi donné corps au préjugé, et consumé patiemment plusieurs siècles d’histoire où le compagnonnage était une fierté, qui conduisait aux cathédrales !
On peut difficilement leur en vouloir, dans leur combat contre l’inégalité des chances, les maîtres d’école ont permis aux classes les plus modestes de se hisser à la connaissance et à la réussite sociale.
Un succès incontestable et qui force le respect, mais qui donne souvent à l’Education Nationale cette assurance un peu dédaigneuse face aux critiques, forcément réactionnaires, qui peut conduire à de nouvelles erreurs.
En 1987, sous l'impulsion de quelques esprits éclairés, l’apprentissage entre dans l’enseignement supérieur. Tous les diplômes, du CAP au diplôme d'ingénieur, sont désormais accessibles en apprentissage.
Mais l'idée: « apprentissage, voie de garage ! » est encore vive dans les esprits. Et il faudra attendre une génération pour que son effet se dissipe peu à peu. En 2017, les études montrent un plébiscite quasi unanime de l'apprentissage.
C'est le moment que choisit l'Education Nationale, qui se souvient peut être qu'elle est à l'origine du préjugé qui s'estompe, pour tenter d'en effacer la tâche; grâce à un subterfuge:
L'« alternance » pour oublier l'« apprentissage »
Avec « l’alternance », plus « d’apprentissage », plus « d’apprentis », plus de voie de garage. Tout est dit!
On substitue les mots dans les publications officielles, on affiche au fronton des universités (où fleurissent de nouvelles sections d’apprentissage) : pôle de l’alternance; les « apprentis » deviennent des « alternants ».
Alternance, la belle affaire ! L'institution promeut la vertueuse expression, dénuée de préjugé, et crée une confusion désastreuse en suggérant que l'alternance se rapporterait aux élèves du supérieur et l'apprentissage aux élèves de CAP!
Dans l'esprit du public il y aurait désormais deux voies d'apprentissage, l’une élitiste et l’autre populaire.
Deux modèles au lieu d'un seul
Quand deux apprentis se rencontreront demain :
- « tu es en apprentissage, toi? »
- « non en alternance, et toi ? »
En ajoutant de la confusion, les pouvoirs publics ne servent pas le modèle qu'ils veulent encourager. Si « L'alternance » est bien la forme du partage entre l'entreprise et l'école dans la formation d'un apprenti, elle ne peut se substituer à « l'apprentissage », expression pertinente pour désigner la formation professionnelle des CAP, BEP et autres BAC Pro.
Et qui désigne aussi bien la formation des BTS, Master ou diplôme d'ingénieur, dans l'entreprise.
On se souvient du fiasco de la promotion: « Etudiant des métiers » sensé remplacer «Apprenti», qui s'est chiffrée en millions d’euros; expression que personne n'a jamais employé!
Efforts et argent dépensés en pure perte, l’apprentissage résiste.
Ignorant la leçon de l'histoire, les conseillers en communication du ministère tentent maintenant de dissoudre « apprentissage » au profit d’« alternance ». Vain espoir, il est bien plus probable de voir les deux modèles se juxtaposer, et deux voies s'affirmer qui mènent l'une au sommet, l'autre au garage.
« Ne rien faire et laisser dire » (A. Allais)
Enfin, l’Education Nationale manque d’habileté.
Car il suffirait de laisser se propager simplement
l’idée de « l’apprentissage : formation d’excellence », portée par l’engouement naturel du public pour ce modèle de formation qui permet désormais d’accéder aux diplômes les plus élevés.
Et ça marche tout seul, l’apprentissage s’est répandu dans l’enseignement supérieur où le nombre d’apprentis a progressé de 95 % depuis 2005 ! Près de la moitié des apprentis aujourd’hui, qui se moquent bien, apparemment, des préjugés d'arrière-garde.
Il suffit donc simplement de laisser faire et, dans trois ou quatre ans, plus personne ne considérera plus l’apprentissage comme une voie de garage. Le préjugé tombera de lui-même, sans effort, sans dépense excessive. Et on oubliera ce vilain mot: « alternant »!
Mais on voit bien hélas que la chose n’est pas apparue aussi simple à tout le monde.
Consulté sur ce point, le fameux
Captain Cap, a répondu placidement : « le mot vent ne décoiffe pas! », tout en regardant sa pipe avec un doute. Voila bien le mot de la fin, sacré Captain Cap!