La réforme de la formation professionnelle et de l’apprentissage de 2019 a donné un véritable coup d’accélérateur à l'insertion des jeunes en France, notamment grâce à une prime à l'embauche de 6 000 euros par apprenti la première année. Les résultats sont spectaculaires : 837 000 nouveaux contrats d’apprentissage en 2022 contre seulement 305 000 en 2018. Plus d'un million d'apprentis en 2023 !
Cependant, face à la hausse des dépenses publiques, la Cour des Comptes, soutenue par l’Inspection Générale des Finances (IGF), considère cette prime comme une dépense « insupportable » et recommande de la supprimer pour les apprentis en BTS ou en licence. Une recommandation qui suscite de nombreuses critiques, tant sur sa pertinence que sur ses effets potentiels pour les jeunes concernés.
La prime à l’embauche, un effet d'aubaine
Selon la Cour des Comptes, la prime à l'embauche des apprentis Bac+2 et Bac+3 ne serait plus nécessaire pour deux raisons principales :
- 1 - Ces jeunes, inscrits dans des formations supérieures, seraient issus de catégories sociales et professionnelles (CSP) plus élevées et auraient plus de facilité à trouver un emploi.
- 2 - Les entreprises qui les recrutent sont en majorité des grandes entreprises, souvent avec plus de 250 salariés, qui auraient les moyens d’embaucher ces jeunes sans aide publique.
Sur cette base, la Cour estime que la prime est superflue pour cette catégorie d’apprentis, les qualifiant de « moins vulnérables » en termes d'accès à l'emploi. Sa conclusion est donc que la prime à l’embauche pour les jeunes en Bac+2 ou Bac+3 devrait être supprimée. Mais cette analyse ne prend-elle pas le risque de simplifier à outrance des réalités plus complexes ?
La force des préjugés
Le raisonnement de la Cour repose sur un présupposé social discutable. Affirmer que les apprentis inscrits dans des formations Bac+2 ou plus proviennent majoritairement de milieux sociaux plus aisés et n’ont pas besoin d’aides pour accéder au marché du travail est une généralisation simpliste. En réalité, nombre de ces jeunes viennent de milieux modestes et utilisent l’apprentissage non seulement pour financer leurs études, mais aussi pour se former tout en acquérant une expérience professionnelle. Supprimer cette prime sous prétexte qu’ils auraient « moins besoin » de soutien revient à nier la diversité des parcours et des difficultés rencontrées par ces jeunes.
De plus, si certaines grandes entreprises peuvent effectivement se permettre de recruter sans aide financière, ce n’est pas le cas pour toutes. Les PME et PMI, notamment dans les secteurs en tension, s'appuient grandement sur cette prime dans le calcul de leurs charges pour décider du recrutement d'un apprenti. Supprimer cet incitatif réduirait alors les opportunités pour les jeunes en BTS ou en licence, particulièrement dans les entreprises plus modestes.
Des conséquences sociales et économiques désastreuses
Aujourd’hui, 61 % des contrats d’apprentissage concernent des formations de niveau Bac+2 ou plus. Si la prime venait à être supprimée pour ces contrats, le risque est grand de voir une diminution drastique des offres de contrats d’apprentissage dans les formations du supérieur. Pour de nombreux jeunes, cela signifierait davantage de difficultés à financer leurs études et d'acquérir une première expérience professionnelle, contrariant ainsi l'objectif initial de la réforme de 2019 : favoriser l’insertion de tous les jeunes, quel que soit leur niveau de qualification.
En restreignant l’accès aux aides aux niveaux inférieurs, on pourrait également créer un déséquilibre dans l’offre d’apprentissage. Les entreprises, motivées par des raisons économiques, pourraient privilégier les apprentis moins qualifiés au détriment des formations Bac+2 et plus, alors même que le marché du travail demande des compétences de plus en plus techniques. Cela risquerait d'aggraver les inégalités entre les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur et ceux sans diplôme.
Des pistes d'amélioration sans sacrifier les jeunes en Bac+2
Si la nécessité de maîtriser les dépenses publiques est un impératif, la suppression de la prime à l’embauche pour les apprentis de niveau Bac+2 et plus semble être une réponse inadaptée. Une telle mesure pourrait compromettre l’insertion professionnelle de milliers de jeunes et affaiblir les gains obtenus grâce à la réforme de 2019. Il est donc essentiel de trouver un juste équilibre entre la réduction des dépenses et le maintien d’un soutien à l’apprentissage.
Une alternative plus pertinente pourrait être de moduler la prime en fonction de la taille des entreprises. Par exemple, supprimer la prime pour les entreprises de plus de 250 salariés, qui sont généralement capables de recruter sans incitation financière, mais la maintenir pour les PME et PMI qui, elles, dépendent davantage de ce soutien pour recruter et former des apprentis. Cette solution permettrait de préserver un soutien aux jeunes tout en ciblant mieux les aides publiques.
Bien que la Cour des Comptes soulève des questions légitimes sur la gestion des finances publiques, sa proposition de supprimer la prime pour les apprentis Bac+2 et plus repose sur des stéréotypes socio-économiques discutables. Une telle mesure risquerait de pénaliser à la fois les jeunes et les entreprises, en particulier celles des secteurs en tension.