1 million d’apprentis en 2027
Un million d'apprentis, c'est le succès qu’escompte le gouvernement; on s'en félicite d’avance tant on voit l’effet positif de cette formation rémunérée sur l’entrée des jeunes dans la vie professionnelle (837 000 contrats d'apprentissage en 2022).
Le gouvernement y a mis les moyens, une réforme bien menée en 2018 par Murielle Pénicaud puis par Elisabeth Borne qui a conduit à l’assainissement du système par un meilleur contrôle des dépenses et des ressources allouées au CFA.
L’offre de formation par apprentissage a été ouvert à la concurrence et notamment aux CFA d’entreprises, qui auparavant dépendait d’une autorisation des Régions.
Cette réforme comprenait également la création d’un organisme paritaire (France Compétence) chargé du financement de l’apprentissage (subtilisé aux Régions). France Compétence, après avoir étudié le coût de chaque formation proposée par les CFA, établi un barème de prise en charge par l'Etat du coût de chacune des formations : le « coût contrat » ou NPEC (Niveau de Prise En Charge).
Ce « coût contrat » par apprenti sera désormais alloué au CFA pour chaque formation, le même pour tout le monde, sur tout le territoire. A cette époque, la mesure fait bondir les CFA qui crient à la faillite annoncée de leur activité et à la fin de leur existence.
2 000 CFA de plus en cinq ans
Cinq ans plus tard on compte très peu de faillites, les CFA n'ont pas disparu et 2 000 de plus sont apparus !
C’est dire si cette réforme ressemblait bien à une révolution, mot cher à Muriel Pénicaud. Une révolution qui ne tarda pas à susciter des vocations, notamment celles de nombreux opportunistes qui y ont vu l’aubaine d’un grand profit en ajoutant simplement quelques chaises dans leur établissement de formation continue.
Parmi ces deux mille CFA éclos en cinq ans, tous n’ont pas été seulement animés par un vulgaire esprit mercantile, bien sûr, et nombreux sont ceux qui proposent une formation de qualité, proche des emplois qu’offre le marché national et surtout local.
Mais très vite le succès de cette révolution a provoqué l’explosion des budgets, en 2022 le déficit de France Compétences avoisine les 6 milliards d'euros. La cour des comptes estime que la réforme a fait croître de 17 % le coût moyen d'un apprenti et l'institution commence à élever des barricades.
Mauvais calcul
Avec ce premier bilan, France Compétence relève de nombreux écarts entre les niveaux de prise en charge et les coûts réels des formations. Au bénéfice des CFA.
Force est de constater que nombre de CFA qui annonçaient leur fin prochaine en 2018 ont finalement trouvé quelques profits grâce à la réforme pendant ces cinq années. Tout comme les petits nouveaux poussés comme des champignons depuis cette date.
France Compétence réévalue les coûts contrats
Pour tenter de rétablir les comptes, les services ministériels annoncent en 2022 une première baisse des prises en charge de 2,7%, puis 5% en septembre 2023 et affirment que ces baisses s’appliqueront uniquement aux certifications « dont le niveau de prise en charge est supérieur au coût observé, en prenant en compte l’inflation . Aucune baisse ne pouvant être supérieure à 10 %, et ce afin de ne pas déstabiliser l’équilibre des CFA. »
Une prise en charge en chute libre
A la rentrée, les employeurs et les CFA observent une tout autre réalité, les baisses de prises en charge sont bien plus importantes que celles annoncées ! Le ministère public s'égarerait il à nouveau dans ces calculs ? Certaines baisses débordent allègrement au delà des 10% !
« Le financement a été divisé par trois ! » se désole Jules de Kervili, responsable d’une petite société d’édition en Charente, qui comptait recruter en septembre un « responsable de projet de communication » en alternance et dont le financement par l’OPCO plonge de 10 550 € à 3 500 € ! L'entreprise renoncera à employer cet apprenti cette année, car le CFA lui ferait supporter la charge de la différence, soit près de 7 000 € ! Impossible pour cette PME qui emploie trois apprentis tous les ans.
Les CFA vent debout
Pour un grand nombre d’établissements, déjà fortement impactés par l’explosion des coûts de l’énergie et des matières premières, la situation est réellement préoccupante.
A Evry-Courcouronnes, la Faculté des Métiers de l’Essonne (FDME) entre dans la tourmente. Le plus grand CFA d'Ile de France craint des répercussions proportionnelles à sa taille : sur ses 69 formations dispensées, 53 sont impactées par la baisse des NPEC, ce qui représente 2 633 apprentis directement concernés, soit 90% des effectifs.
Tout comme le CFA EVE, un CFA universitaire qui voit son budget dégringoler avec 18 formations pour lesquelles la baisse du financement est comprise entre 10% et 56% !
« Si l’urgence est de rétablir les comptes de France Compétence, peut-être serait il également pressant de montrer un peu de cohérence. Ne pas dire une chose et en faire une autre ! » s’emporte Jules de Kervili qui ne se console pas de la perte de son apprenti.
La Lettre Ouverte « L’apprentissage, une voie de réussite … aujourd’hui sacrifiée ! », signée par 150 représentants des forces politiques et économiques de l'Essonne et adressée à la Première Ministre Elisabeth Borne se conclut par cet avertissement : « En baissant les NPEC, des cohortes de jeunes ne trouveront plus place dans les CFA pour se former et s’insérer, les entreprises seront privées de compétences. Quel en sera le véritable prix pour les quartiers, les territoires, la nation ? »
Le gouvernement est prévenu, ce coup de frein fait craindre une sortie de route. A l'horizon, le million n'est plus très sûr !
Volte-face
14 octobre : « un décret correctif révise à la hausse certains niveaux de prise en charge » annonce le ministère du travail !
On y voit naturellement l'effet de l'influence de cet article de L'APPRENTI (NDLR), et aussi un peu sans doute la réaction du gouvernement face aux plaintes conjuguées des collectivités, des CFA et de la représentation nationale :) A moins qu'il ne s'agisse d'une vraie erreur de calcul, corrigée un peu tard !
Ce nouveau décret rétablit cependant, pour des centaines de formations, une prise en charge plus conforme à la baisse annoncée, limitée à 10%.
La formation de « responsable de projet de communication » s'avère concernée par la révision mais si le nouveau référentiel permet désormais à Jules de Kervili d'engager son apprenti, apaisera-t-il l'inquiétude des CFA et des chambres consulaires ?